TOR des Géants 2019

TOR des Géants 2019


L’ENFER, et la souffrance à l’état pur derrière cette photo.

Alors qu’on entame la dernière côte avant la dernière base vie, une petite douleur commence à se faire sentir dans mon quadriceps gauche. Je n’y fais pas attention et je m’engage sur le versant de cette montagne. Plus je monte ce col plus la douleur se fait sentir. Elle reste cependant supportable. A un moment, au cours de la montée, il y a une petite descente de quelques mètres. C’est à ce moment-là que je comprends que ma jambe gauche est totalement tétanisée. Impossible d’actionner le genou, tout le bloc du quadriceps est contracté et bloque le tout. Je ne m’inquiète pas et j’entame la suite de l’ascension. J’arrive en haut du col et je peux apercevoir la dernière base vie. Elle est à 6km.

C’EST ICI QUE VA COMMENCER MON CALVAIRE.

La jambe gauche ne pourra plus jamais se plier en descente, on est au km 290. J’essaye par tous les moyens de faire passer ma jambe mais impossible de la bouger dans la descente. C’est à ce moment-là que Thierry, l’oncle de Marc, (coureur avec qui j’ai fait les derniers km du TOR) me dit qu’en marche arrière la quadri ne sera pas sollicité et que je dois pouvoir descendre. Me voilà parti pour 6 km de descente en marche arrière. Arrivé à la base vie je me ferai longuement masser et strapper. Je dormirai mais une fois reparti la douleur réapparaîtra encore plus vive. Malgré les puissantes doses d’antidouleurs que les médecins m’ont données je vais souffrir, pas après pas et heure après heure. La seule chose qui me motive c’est de regarder le nombre de kilomètre effectués. C’est la nuit, je dois entamer plusieurs descentes, j’ai fixé une frontale sur ma hanche de manière à éclairer derrière moi quand je descends. Chaque pas me fait mal, plusieurs fois je vais tomber et rester sur le dos à contempler le ciel étoilé, avec une envie tellement forte d’abandonner, qu’on vienne me chercher. Je vais pleurer de rage, d’injustice. Tous ces kilomètres pour abandonner à moins de 30km de la fin. Des coureurs qui vont passer devant moi vont me demander s’ils doivent prévenir les secours. Ce sera le début du buzz du TOR 2019, un coureur se tape toutes les descentes en marches arrière.

Je me rappelle avoir appuyé de toutes mes forces sur mon ongle déjà arraché à l’avant du pied pour que cette douleur masque celle de la cuisse. Avec tout ce que mon corps subit, la tête également commence à me faire mal, j’ai encore un peu de fièvre dû à mon abcès sous le pied. Je m’accroche comme un lion et je me dis que ça va passer, qu’il ne reste que 8 ou 10h de souffrance et que le lendemain tout cela sera terminé et que j’en sortirai grandit.

Coureurs après coureurs, ils me doublent tous. Beaucoup de japonais vont me saluer et me féliciter, beaucoup pensent qu’au prochain ravitaillement je vais abandonner. Je vois un médecin et un kiné, je leur explique que j’ai pris 3 avions, 1 train et 2 bus, que je suis venu de Thaïlande directement dans les Alpes et tant que je serai à l’heure sur les barrières je continuerai quitte à me faire mettre hors course par les fermeurs. Le kiné va me tendre sa bière et va me dire en français que je mérite d’aller au bout et qu’ils ne s’y opposeront pas mais insistent pour que je ne prenne pas de risque inutile.

Je reprends une dose d’antidouleurs et je m’engage sur la dernière partie avant Saint Rémy, dernier village avant Courmayeur. Là je vais être pris d’hallucinations liés à la fatigue et aux médicaments je pense. Je suis seul sur un chemin non éclairé si ce n’est par ma frontale. Je vois des soldats autour de moi, tout une compagnie, je revois des visages que je connais, je vais même discuter avec mon ancien chef de section de la Marine en étant persuadé de lui avoir parlé. Je vais essayer de remplir mes gourdes à une fontaine qui n’existe pas mais je vais essayer pendant au moins 3 ou 4 minutes avant de réaliser qu’il n’y a que des branches. Je prends clairement peur car je n’ai plus du tout le sens de l’orientation.

Je vois des lumières arrivées vers moi et je comprends vite que ce sont des coureurs. Là je vais pouvoir discuter avec eux et me remettre en marche. Je retrouve Eric avec qui j’ai fait plusieurs portions. On parle beaucoup avec lui, il me pose beaucoup de questions sur le « pourquoi je suis ici » et c’est vrai que beaucoup de personnes étaient éttonées par mon jeune âge sur cet évèneent.Les idées sont plus claires et le temps passe plus vite. On va rapidement arriver dans Saint Rémy où je dormirai 1h au ravitaillement, mais comme ce ne sera pas suffisant, je m’installerai sous une fontaine à la sortie du village pour y dormir de nouveau en laissant Eric partir à l’assaut du dernier col. C’est là que Marc va me réveiller. Il me reconnaît car on a fait une bonne partie du chemin la veille. On va entamer ensemble l’ascension du dernier col vers 5 ou 6h du matin. Il a le genou très abimé également. On va trouver l’un et l’autre la force de motiver l’autre pour aller au bout. On atteindra le refuge vers 9h, la barrière étant à 10h30 on a toujours un peu de marge.

À partir de ce moment-là, mes souvenirs se brouillent énormément. Son oncle nous a conseillé de partir vite car on avait peu de marge. Je vais gravir le col du Malatra à une vitesse folle comme si j’avais une revanche à prendre puisqu’en montée ma jambe se plie.
Une fois le sommet atteint je vous promet qu’il n’y a aucun mot pour décrire la souffrance que je vais recevoir pendant 12km. 12km d’enfers, de douleurs, de désespoir et d’idées vraiment sombres. On se demande clairement à quoi tout cela rime, le corps est abîmé, les tendons brûlent, les muscles se contractent tout seul. La peau s’arrache et se déchire dans les chaussures, les chaussettes s’imbibent de sang, et les cloques au mains (dû aux batons) sont extremement douloureuses. Marc va partir devant car il doit assurer son arrivée, (sur le tor pour être finisher il faut finir en moins de 150h).

Je vais serrer ma cuisse avec un bandage pour stabiliser la jambe et diminuer la douleur, mais à chaque pas j’ai l’impression d’avoir un couteau planté dans le muscle et que l’on remue. Thierry, l’oncle de Marc ne va pas me laisser seul et va m’accompagner sur toute la descente. Je tombe, je me relève. Je retombe, encore encore encore et encore. Je fais toutes cette descente en marche arrière. Les japonais, les chinois, les russes, me doublent tous. Ils ont tous un petit mot à mon égard devant la souffrance que j’encaisse. Un russe va me taper sur l’épaule et va me dire en français « de ne pas lâcher ». Ca rechauffe tellement le cœur de les voir tous à me soutenir. On entre dans les 8 derniers km et je ne peux plus supporter la douleur. Je descends en pleurant toute l’eau qu’il me reste mais comme je suis déshydrater je ne pleure quasiment pas. Je ne peux même pas faire de pause ou m’apitoyer sur mon sort car le chrono tourne et je risque d’être hors course. Ma cuisse est violette à cause du bandage qui la serre. Je tente de cacher cette douleur en écrasant mes orteils mais même ça ne fait plus rien. J’ai l’impression que tout mon corps est HS.

Je n’ai jamais vécu de moment comme celui-là. C’était l’horreur, physique et mental. J’essaye de me concentrer et je repense à tout ce qu’à pu me dire mon grand père, tout ce qu’il a vécu. J’essaye de serrer les dents pour lui pour mes parents qui m’attendent en bas mais c’est impossible. Je vais m’effondrer dans l’herbe, et admirer le ciel et le soleil. Cette dernière journée est magnifique, mais je ne peux plus rien ressentir. Le cerveau divague et je dis à Thierry que je vais abandonner, que c’est plus possible et qu’il faut que tout ça s’arrête. Il va venir me parler calmement, en étant très pédagogue. Je vais finir par me remettre en route. A ce moment là de la course il faut savoir que j’ai des cloques et des ampoules sous les pieds, mes chaussettes sont en sang et je sens les morceaux de peau qui décollent dans la chaussette.

Je vais finir par arriver au refuge qui est le dernier ravitaillement avant les 4km de descente sur Courmayeur. Je vais retrouver mon père dans les deux derniers km. Je le voit qu’il est très embêté de me voir comme ça. Je suis pire qu’un zombie, mais voir quelqu’un de sa famille dans un moment pareil c’est comme trouver un phare en pleine tempête. On va descendre doucement à notre rythme et je vais entrer dans Courmayeur. La suite est juste dingue et je vivrai avec Marc une arrivée triomphante dans Courmayeur. C’est juste la folie. Tous les coureurs viennent m’encourager, certains me tapent dans le dos, les japonais m’offrent même une bière et le russe viendra me prendre dans ses bras alors que je cherche encore ma famille à l’arrivée. Tous auront un petit mot bienveillant à mon égard, et beaucoup de personnes qui m’ont vu descendre vont venir me féliciter. Un des spectateurs m’avait promis de payer ma bière si je terminé et il est venu me livrer ma bière comme il se devait.Paragraphe

Quoi qu’il en soit le TOR est une belle aventure mais la fin fut un enfer pour moi. Le trail c’est bien, le TOR c’est beaucoup trop. Réfléchissez à deux fois avant de vous élancer sur cette course. Que mon témoignage serve au moins à mettre en garde ceux qui ne s’y prépareraient pas correctement. « 

J’ai bouclé le TOR 2019 en 148h et 44min avec donc 1h et 16min sur la barrière horaire.
J’ai dormi 9h et couru/marché 139h.
Le TOR n’est pas une course, c’est une épreuve de vie, un voyage, où on apprend à se surpasser et à accepter des choses inimaginables. Je ne dis pas qu’il n’y aura pas un deuxième TOR mais pour le moment, c’est repos, repos et repos.
Je suis le 17ème coureur de moins de 25 ans à avoir bouclé cette course depuis sa création.
Merci à Eric, Marc, Mattéo, Didier, Jorge, David et tous les autres coureurs avec qui j’ai partagé cette expérience. Merci à mon père et à ma mère pour leur assistance et leur soutien déterminant au cours de cette épreuve.